Dans notre société de plus en plus mélangée, le
vivre-ensemble n’est pas toujours facile. Pour illustrer ce propos, voici une
scène vécue personnellement à Paris.
Je prends le métro à Nation, station de départ de la ligne 6.
Les wagons sont presque vides ; je monte au hasard et m’installe côté
couloir à un endroit où se trouvent quatre places en vis-à-vis, tandis qu’une
dame d’une trentaine d’années, assez forte, à la peau noire, s’assied à la
place en diagonale en face de moi, côté fenêtre. Juste avant le départ du
train, une troisième personne arrive : c’est une dame d’une soixantaine d’années,
plutôt petite, le visage un peu émacié, très maquillée, vêtue assez élégamment
d’une jupe et d’une petite veste rouge vif. Elle fait mine de s’installer à
côté de moi, côté fenêtre, aussi je me lève pour la laisser passer. Tout d’un
coup, son visage s’empourpre et elle explose, s’adressant violemment à la jeune
femme noire :
-« Vous pouvez pas vous asseoir correctement, non ? Vous voyez pas
que vous prenez toute la place ? reculez vos genoux, que je puisse m’asseoir !
La jeune femme interpellée réagit aussitôt : - Et puis quoi encore ?
Vous voulez peut-être que je me les coupe, mes jambes ?
Voyant que les choses risquent de s’envenimer, je m’assieds à
côté de la jeune femme noire et je désigne ma place à la dame en rouge :
- Peut-être ainsi aurez-vous assez de place pour vos jambes ?
Elle s’assied
en face de moi en grommelant :
- Le monsieur, au moins, il est assis correctement. C’est pas difficile de
s’asseoir correctement !... Du coin de l’œil, elle me regarde, cherchant
mon approbation. Comme je ne bronche pas, elle change de tactique, s’adressant
à la jeune femme :
- Vous pourriez surveiller votre régime ! Je ne sais pas ce que vous
mangez pour être grosse comme ça !
L’autre répond, tout en restant dans les limites de la politesse :
- Cela ne vous regarde pas, ce que je mange. Je ne vous demande pas votre
âge, moi !
La première continue sur le même ton, tout en jetant des
regards victorieux alentour :
- Moi, je suis née ici, et c’est pas vous qui allez me prendre ma place et
me dire ce que je dois faire ! »
Manifestement, elle quête mon
approbation, mais je ne lui accorde pas un regard.
Partisan de la communication non violente, j’ai choisi la
stratégie de ne rien dire : agresser verbalement la dame en rouge en la
traitant de raciste, c’était entrer dans son jeu. Mon attitude la fera peut-être
réfléchir, même si je n’en suis pas complètement sûr. Après son départ, quelques
stations plus loin, j’en discute avec ma voisine, la jeune femme noire, qui me
dit ne pas trop lui en vouloir, même si elle avoue avoir un peu perdu son calme.
Mais elle se dit prête à la réconciliation si l’autre en faisait la demande.
Et vous, comment auriez-vous réagi dans une pareille
situation ?