Réflexions d'un coach spécialisé dans les transitions, à partir des événements et rencontres de la vie quotidienne...

lundi 23 janvier 2012

Catégoriser a ses limites


Nous avons vu dans le message précédent (voir Classements et catégories) que la catégorisation est un instrument extrêmement puissant ; et pourtant, depuis quelques décennies, cette façon de faire est fortement remise en cause, notamment dans certains domaines scientifiques. Pour illustrer mon propos, je vais prendre deux exemples.

Dans la vie courante, les frontières entre les catégories d’objets s’avèrent, à la réflexion, souvent floues. Par exemple, je sais bien ce qu’est un livre : un objet avec un nombre assez grand de pages imprimées et reliées entre elles, le tout protégé par une couverture. Si la forme est la même mais avec un faible nombre de pages, on parlera plus volontiers de brochure ou de plaquette. Si le livre est écrit à la main, on parlera plutôt de manuscrit. Quelle différence avec un cahier ? Au départ, celui-ci était un ensemble de pages coupées à partir d’une feuille et pliées les unes dans les autres, un livre étant formé de plusieurs cahiers. Aujourd'hui, le cahier est pourvu de feuilles blanches ou quadrillées réservant un espace dans lequel on peut écrire ; suivant la taille et l’apparence, on va le décliner en album, bloc-notes, calepin, registre… sans oublier le livre blanc : et nous voici revenus au livre !

Autre exemple : lorsque je faisais mes études de sciences naturelles, il existait une classification des êtres vivants extrêmement solide et bien établie, qui permettait d’attribuer à un individu le nom d’une espèce, espèce regroupée avec d’autres, aux caractéristiques proches, à l’intérieur d’un genre. Toujours sur la base des caractéristiques visibles (le phénotype), les genres voisins étaient regroupés au sein de familles, rassemblées en sous-classes, puis en classes et embranchements, etc. : une construction logique dont l’architecture semblait définitivement établie par tous les spécialistes du monde, même si des détails étaient discutés dans les niveaux les plus fins. Cette classification classique ou systématique reposait sur un nombre limité de principes et sur un axiome allant tellement de soi qu’il était rarement discuté : plus la ressemblance entre deux individus est forte, plus ils sont proches dans la classification.
Les crocodiles parents des oiseaux (dessin R. Cherel)

Avec les progrès accomplis en génétique, on s’est rapidement aperçu que les liens entre les espèces étaient plus complexes que cela : certains individus aux caractéristiques apparemment très semblables étaient éloignés génétiquement, alors que d’autres, que l’on avait placés dans des groupes très séparés, étaient en réalité bien plus proches que prévu. Par exemple, le concept de « reptiles » a été abandonné car regroupant des espèces non proches parentes ; les plus proches parents vivants des crocodiles sont… les oiseaux ! Aujourd'hui, la classification classique des êtres vivants a été abandonnée au profit de l’approche phylogénétique. La catégorisation, qui nous a permis de faire d’énormes progrès dans la connaissance des êtres vivants pendant des siècles, avait atteint ses limites.

Ne perdons donc pas de vue que les catégories ne sont pas la réalité : ce sont des abstractions, des outils  que nous avons créés pour simplifier la complexité du réel. Les limites de la catégorisation sont aussi valables pour chacun de nous : ai-je tendance à catégoriser facilement les gens et les choses ? Dans quelle mesure suis-je capable de remettre en cause mes catégories ?

Renaud CHEREL


Voir aussi dans ce blog :
    Compliqué ou complexe
    Généralisation
    Vivre ensemble

Lien externe : 
    Catégorisation, stéréotypes et préjugés

Bibliographie : 

Salès-Wuillemin Édith : La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale, éd. Dunod, coll. Psycho-sup, Paris 2006

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